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L’isolement de l’enfant à haut potentiel

Comprendre ce qui se joue dans la tête d’un enfant à haut potentiel qui s’ignore, un témoignage bouleversant que nous vous proposons cette semaine !

La phobie scolaire chez les enfants à haut potentiel

En complément de notre article sur l’ennui de l’enfant à haut potentiel, nous publions cette semaine un témoignage très fort sur le décalage qu’ils vivent profondément et peut les conduire à une forme d’isolement, subi ou volontaire.

C’est un témoignage bouleversant que Didier Bertrand, nous a aimablement autorisés à reproduire, dans le but d’attirer votre attention sur ces enfants tranquilles, discrets, qui s’éloignent du groupe. Laissés à la marge ils ne posent pas de problème particulier mais pourraient avoir besoin de l’œil averti d’une personne éclairée pour les accompagner :

  • les aider à comprendre leur particularité et tendre vers une identification si besoin
  • afin qu’ils la vivent le mieux possible
  • afin de parvenir à mieux s’adapter au groupe en général

Comprendre ce qui vous éloigne des autres permet de s’en rapprocher ou de s’isoler volontairement et temporairement en cas de besoin, sans le vivre comme une forme d’exclusion.

Ce texte a été écrit par Didier Bertrand, devenu écrivain après la prise de conscience et l’identification de son propre potentiel. Il donne, sous sa belle plume et avec le recul nécessaire, un sens aux sentiments confus qui l’habitaient alors qu’enfant, il ne disposait pas des bons outils pour comprendre ses ressentis.

Nous vous livrerons à la suite de cet article les réflexions de l’auteur sur les raisons et les bénéfices de l’identification, aussi tardive soit-elle !

Quand on regarde ses enfants, il arrive parfois qu’on se prenne un petit coup de poing dans le plexus ou un grand coup sur la tête et que l’on en ressorte tout sonné.

https://didierbertrand.com/

Didier Bertrand, auteur de romans à suspense qui font du bien. Une histoire d’enfant à haut potentiel qui s’ignore…

C’est l’histoire d’un petit garçon qui se sentait différent. Mais consciemment, il ne le savait pas. Il le sentait sans comprendre, c’est tout.

Il avait souvent l’intuition de la chose juste. Mais expliquer comment il aboutissait aux résultats, non, ça il ne savait pas. Bien qu’il soit certain de ce qu’il avançait, c’était tellement limpide pour lui, on l’écoutait rarement, et bien caché tout au fond de lui se blottissait une petite boule de colère. Mais il ne le savait pas.

Il était intelligent et réussissait beaucoup. Mais cela non plus il ne le savait pas.

Il n’était pas fier. Quelle gloire pouvait-il tirer d’avoir réussi les exercices ou d’être toujours sur le podium des élèves de la classe? Être bon en classe ne servait qu’à l’isoler un peu plus des autres élèves. Il travaillait car c’était ce qu’il fallait faire, cela lui demandait peu d’effort, ses parents étaient contents et il savait depuis toujours que la réussite, finalement, n’avait vraiment rien d’extraordinaire. Elle était normale, naturelle et insignifiante. La réussite ne laissait aucune empreinte, contrairement aux rares échecs qui eux marquaient douloureusement son esprit. Échouer était une épreuve. Comme une grande main qui le saisissait aux tripes et le balançait sur le côté, sur un rivage de galets désolé d’où il regardait passer les deux autres, les deux vraiment forts qui réussissaient tout le temps. Ces quelques échecs, c’était bien la preuve que lui n’était pas bon.

Non, tout ce que savait le petit garçon, c’est qu’il était un peu paumé, pas très malin, et qu’il n’avait pas d’ami. En réalité lui se voyait plutôt nul et inadapté.

A la récréation, il se sentait aussi très seul. Alors il passait de groupe en groupe, essayant de s’insérer dans les conversations. Quand on notait sa présence, les autres l’accueillaient avec indifférence : les premiers de la classe étaient un peu bizarres… mais inoffensifs. Le petit garçon se tenait toujours légèrement en retrait, en périphérie. Il écoutait.

Assez vite, les discussions sonnaient creux et l’ennuyaient, il n’en comprenait pas bien l’intérêt. Il reculait doucement, discrètement, et quittait le groupe pour un autre tandis que la conversation continuait derrière lui. Mais ailleurs c’était la même chose. Parfois le petit garçon aurait bien aimé participer à ces discussions mais il ne savait absolument pas quoi dire. Il se sentait vraiment inintéressant et très nul de ne pas savoir comment placer un mot alors que tous les autres y arrivaient. Et que dire ? C’était un vrai défi que de trouver quelque chose à raconter dans ces conversations qui lui paraissaient bien superficielles et dont il ne savait pas trop où elles menaient. Alors il se taisait.

Ce qu’il pouvait faire de mieux c’était imiter les autres. Il les avait tellement observés en se demandant comment ils faisaient qu’il avait fini par repérer des schémas de conversation et des attitudes types. De toute façon c’était un peu toujours la même chose. L’injustice des notes, les commentaires sur les parents, des vannes sur les profs ou sur d’autres élèves, en général justement ceux qui lui semblaient le plus intéressants. Alors il souriait quand ils souriaient, riaient quand ils riaient même s’il trouvait souvent ça exagéré, ce n’était pas si drôle.

S’abandonner au rire, voilà encore une chose qui était compliquée. Car il y avait l’Observateur implacable, toujours là à l’affût, quelque part dans sa tête, bien caché dans sa tour de contrôle, qui ne manquait jamais de lui signaler le côté factice de la situation et qui prenait un plaisir pervers à lui rappeler la barrière qui le séparait encore des autres. Malgré tout, il avait l’illusion, pendant quelques instants, de faire partie d’un groupe. Cette sensation ne durait pas. Il se lassait vite et fuyait les piques agressives. Dans la cour, après être passé d’un groupe à l’autre, il finissait souvent la récréation seul, faisant plusieurs fois le tour des lieux en attendant que la cloche sonne. Il se méfiait un peu, aussi. D’expérience, il savait que les autres enfants étaient des brutes, immatures et cruels. Ils blessaient, attaquaient et se moquaient sans raison. Ils piégeaient et harcelaient. Leurs conflits étaient absurdes et dérisoires. Il avait horreur des conflits. Autant de bêtise et d’agressivité restait pour lui un grand mystère. Les moqueries gratuites et la hargne vindicative, voilà bien des choses incompréhensibles contre lesquelles il était désarmé. Ses arguments et la logique avaient peu de prise face à la bêtise.

A force de jouer au caméléon pour tenter de se faire des amis, le petit garçon devenait transparent. En soignant son camouflage il perdait tout relief aux yeux des autres et devenait invisible à lui-même. Il oubliait qui il était. Il se perdait. Mais cela, il ne le savait pas.

Arrivé au collège, le petit garçon était devenu un véritable expert de l’adaptation. Le roi du mimétisme. Il n‘était jamais lui-même. Cela non plus il ne le savait pas.

Il croyait être lui alors qu’il vivait en permanence dans un rôle, celui qu’il imaginait qu’on attendait de lui. Il vivait aussi en permanence dans le contrôle. Car être un maître du mimétisme était une discipline exigeante. Il lui fallait en permanence contrôler ses attitudes, ce qu’il disait, ce qu’il exprimait, la façon dont il se comportait. C’est qu’il voulait plaire à tout prix. A ses yeux, devenir un caméléon était vraiment un bon truc pour avoir des copains et être comme les autres. Pour ressentir la chaleur que procure le sentiment d’appartenance à une communauté. Pour ne plus se sentir seul, même si d’une certaine façon la solitude avait du bon, elle lui permettait de baisser sa garde. Il ne voyait pas le paradoxe qu’il y avait à vouloir se fondre dans la masse pour mieux être vu. Il n’avait pas non plus de mots à poser sur ce sentiment de différence qu’il ressentait. Tout ça était bien confus.

Le garçon ne comprenait pas du tout ce qu’il avait de différent des autres, pourquoi on le laissait toujours un peu à l’écart et pourquoi lui se sentait toujours un peu à la marge. Il tentait désespérément de combler cette distance qu’il ressentait en permanence. Ce décalage avec les autres enfants de sa classe, cela montrait bien qu’il était inadapté à la vie en groupe et qu’il y avait chez lui quelque chose qui n’allait pas. De temps en temps, il tentait des blagues, mais son humour à base de jeux de mots, d’analogies et de références culturelles tombait toujours à plat. Il aimait Pierre Desproges et Raymond Devos quand dans sa classe on ne jurait que par Coluche. Un jour, à une question d’histoire sur un célèbre humaniste italien du 15ème siècle, il voulu faire rire, il voulu connaître l’impression que cela faisait d’être populaire. Alors il répondit “Pic de la Farandole” au lieu de “Pic de la Mirandole”.

La classe éclata de rire, comme prévu. Et lui découvrit que le comique artificiel ne paie pas. Il était comme toujours bien trop lucide. Il se sentait juste honteux et stupide. La prof d’histoire l’avait regardé. Sans aucun doute elle savait. Elle n’était pas dupe de la supercherie et le connaissait bon élève. Elle n’avait rien dit.

Parfois, avec les profs, ce n’était pas simple non plus. Il se souvenait encore de son institutrice en CP qui avait affirmé qu’aucun mammifère ne pondait d’œufs. Elle avait oublié l’ornithorynque, il avait pensé juste de le lui signaler. Pourquoi s’était-elle mise en colère ? Le lendemain il lui avait amené sa fiche sur cet étrange animal, elle l’avait posée sur son bureau sans la regarder. Bizarre…

Il oubliait de plus en plus mais plus jeune il avait été vraiment très fort sur les animaux. A 8 ans il connaissait par cœur le classement des différentes branches du vivant.

Il s’en rappelait car sa mère s’était étonnée un jour qu’il connaisse tout cela, et c’était son étonnement à elle qui l’avait étonné lui. Qu’il avait-il d’extraordinaire à ce qu’il connaisse les branches du vivant ? Les animaux l’intéressaient, c’est tout !

Chez lui, il plongeait dans les livres et n’en sortait qu’après plusieurs appels de sa mère pour passer à table. Il lui fallait du temps pour revenir des univers littéraires où il s’évadait. C’était un enfant calme et sage qui ne faisait pas de vague. A 12 ans, il prit la décision de ne plus jamais fêter ses anniversaires : se réunir à date fixe, imposée par le calendrier, n’avait pas grand sens et il ne s’amusait pas tant que cela. L’Observateur dans sa tête se réveillait justement souvent dans ces moments là et ne le laissait pas tranquille. Il y avait le garçon qui jouait et le garçon qui s’observait jouer. La distance que cela créait entre ses camarades et lui était difficile à abolir. Il accepta l’idée qu’il vivrait seul toute sa vie.

Un peu plus tard, il prit une autre grande décision : il décida de ne plus jamais rien ressentir. Il devait absolument tenir les émotions à distance. C’était devenu bien trop difficile. Car si en dehors rien ne paraissait, à l’intérieur de sa carapace tout explosait. Très régulièrement, des tourbillons de colère se levaient, des déflagrations de frustration le bouleversaient. Des petits riens, des remarques qui auraient pu rester insignifiantes, les incompréhensions soulevaient des tempêtes. Le garçon dépensait énormément d’énergie a tout contenir et s’épuisait à regagner son calme. S’il arrivait à tenir les émotions à distance, sa vie serait bien plus simple.

Un peu plus tard, au lycée, il gravitait un peu toujours autour de la même bande. Bien que faisant partie du groupe, il se sentait toujours en décalage, à la fois dans et en dehors du groupe, un peu comme une cerise sur un gâteau. Mais sans en avoir l’éclat.

Il avait beau chercher, il ne voyait aucune raison à ce sentiment de singularité. Les autres devaient le sentir aussi. Parfois, il apprenait le lundi que toute la bande s’était retrouvée chez l’un ou l’autre le samedi soir, et que personne n’avait pensé à le prévenir. Cela, cela faisait mal.

Les fêtes étaient des moments difficiles, il s’y sentait complètement à côté de la plaque, différent et en marge. C”était les moments où il ressentait le plus ce sentiment de décalage, l’impression d’être sur une voie parallèle, une voie de garage. La musique était forte, l’alcool coulait à flot, les filles étaient belles. Un verre à la main, il buvait pour se donner contenance et fignoler son camouflage. Il regardait énormément, analysait tout le temps, décodait les comportements, faisait comme tout le monde, et naviguait de groupe en groupe. Un acteur. Il pensait que l’alcool l’aurait aidé à se désinhiber mais deux ou trois verres le rendait juste plus léger, sans que cela ne suffise à stopper la machine dans sa tête. Ces soirées le propulsaient dans la position de l’anthropologue étudiant les rituels d’une tribu mystérieuse. Parfois, il se voyait dans la peau d’un extraterrestre juste débarqué sur Terre découvrant les fêtes dans la société humaine. Pendant que tous semblaient s’amuser, il n’en comprenait pas bien les raisons, lui restait enfermé dans sa tête, observant avec fascination des couples se former et les autres s‘amuser. Il aurait aimé pouvoir rembobiner la scène pour comprendre ce mystère de l’attraction entre deux êtres, saisir le point de bascule qui fait deux amants de deux amis. Il aurait voulu s’amuser lui aussi, mais se sentait triste. Dans ces soirées, le garçon se sentait vite coincé. Il avait l’impression de perdre son temps et se disait qu’il aurait passé un bien meilleur moment à lire chez lui un bon roman. Il avait envie de partir tôt et s’éclipsait aussi discrètement que possible, redoutant qu’on ne le remarque et qu’il n’ait à se justifier.

En ne fêtant pas ses 18 ans, il prit conscience qu’il ne s’était jamais senti jeune.

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Je suis sûre que beaucoup d’entre vous se reconnaîtront ou auront la sensation intime que leurs enfants sont susceptibles de vivre la même chose. Si tel est le cas, ne laissez pas planer le doute, un haut potentiel est mieux vécu lorsque les décalages ressentis sont assortis d’une explication.

Pour expliquer le haut potentiel aux jeunes enfants, nous vous recommandons la lecture de cet ouvrage : La douance racontée aux enfants de Aimée Verret.

Laissez-nous, comme d’habitude, vos commentaires à la suite de cet article.

11 commentaires

  1. J ai l impression de voir mon fils de 13 ans qui a appris (pour être accepté à l école) à imiter les autres.

    1. Ras le bol de tous ces gens qui se croient surdoués et qui réecrivent leur histoire en plaquant littéralement ce qu’ils ont lu dans des livres …
      Un surdoué n’est pas un bon élève pour commencer

  2. bonjour ; oui en effet, je retrouve certains comportements de mes fils. le premier a réussi à trouver une place parmi ses camarades mais le plus jeune, lui, s’est mis à faire le pitre ( ne sachant pas comment parler aux enfants de son âge ) et a subi des moqueries et par la suite a été un peu le souffre-douleur de certains d’entre eux. L’entrée au collège a été une catastrophe! voulant tellement avec des amis, il a joué au caïd ce qui l’a conduit à avoir des problèmes avec le corps enseignant. Et nous n’en sommes pas encore sorti…
    merci pour ce témoignage

    1. Je vous en prie. Si mon témoignage peut être utile, je suis ravi. Bon courage avec le collège qui est souvent un passage difficile.

      1. Bonjour,

        Vous vous méprenez sur nos intentions.
        Nous venons de lire et valider vos commentaires, car comme tout le monde nous ne travaillons pas 24h sur 24.
        Libre à vous de penser ce que vous voulez, par contre j’au l’impression que vous gagneriez à travailler sur une forme de colère, surtout lorsque celle-ci se tourne contre des personnes qui agissent et témoignent de leur vécu en toute bonne foi.

  3. Il faut etre lisse et bien d’accord. Surtout ne rien remettre en question sinon le commentaire est immédiatement censuré. C’est pourtant une preuve d’intelligence de ne pas être d’accord, non? Apparemment pas.
    Cet article parmi tellement d’autres est un tissu de clichés et de plaquages de connaissance arbitraire sur les surdoués.
    L’auteur y reecrit son histoire en plaquant des clichés préconçus.

    1. Bonjour,

      Vous vous méprenez sur nos intentions.
      Nous venons de lire et valider vos commentaires, car comme tout le monde nous ne travaillons pas 24h sur 24.
      Libre à vous de penser ce que vous voulez, par contre j’au l’impression que vous gagneriez à travailler sur une forme de colère, surtout lorsque celle-ci se tourne contre des personnes qui agissent et témoignent de leur vécu en toute bonne foi.

  4. Bonjour, tout me parle dans cet article; pour mon fils de 14 ans et pour moi, qui ai vécu tout cela étant jeune. Je ne suis pas diagnostiquée mais j’aurai dû le faire et peut-être que je le ferai car le fait que mon fils soit HP, cela me renvoie des choses et je comprends certains événements de ma vie. Trouver sa place, la grande question de ce monde…
    Merci pour votre article.
    CC

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