Lors de l’émission Minute papillon, Sidonie Bonnec interrogeait en effet Guillaume Jacquemont, journaliste au magazine Cerveau & Psycho et auteur du dossier « Dans la tête d’un surdoué, que disent les neurosciences sur le haut potentiel intellectuel ? », paru dans le n°136 du mois d’octobre.
Nous vous proposons une retranscription de son interview que nous trouvons intéressante car elle pose les bases du haut potentiel de façon claire, posée, sans exagération, avec la prudence qui s’impose.
Est-ce le succès de la série HPI de TF1 qui vous a donné envie de vous plonger dans le cerveau d’un précoce ?
Ça fait partie de ces choses, mais il y a en fait beaucoup de recherches sur les surdoués depuis un certain temps et c’est aussi un sujet de société majeur, c’est donc un ensemble de choses qui nous a donné envie d’aller voir ça.
Morgane Alvaro, c’est donc le personnage joué par Audrey Fleurot. En quoi est-elle à haut potentiel intellectuel, qu’est-ce qui le montre dans son quotidien, dans sa vie, son comportement ?
Alors, par définition est elle est HPI parce qu’elle a un QI supérieur à 130. Le quotient intellectuel doit être élevé.
Quelle est la valeur moyenne du QI ?
Le QI est de 100 en moyenne. Les HPI ont un QI supérieur à 130, et les très haut potentiels ont un QI supérieur à 145. Pour en revenir à Morgane Alvaro, on n’a pas identifié de personnalités type du HPI. En revanche on va voir qu’elle a au quotidien des capacités de déduction incroyables, c’est pour ça qu’elle va aider les enquêteurs. Tous les surdoués ne vont pas avoir des parcours incroyables, mais ils ont quand même cette rapidité intellectuelle et ces fortes capacités de raisonnement.
Dans la bande-annonce, on entend une personne qui est étonnée qu’elle soit femme de ménage alors qu’elle est brillante. Elle répond qu’elle a un problème avec l’autorité. Est-ce un trait qui peut permettre de reconnaître une personne surdouée ou précoce ?
C’est possible. Comme je vous le disais, il n’y a pas de personnalité type des HPI, mais plein de déclinaisons qui font que, comme tout le monde, il vont avoir des personnalités variées. Le seul trait de caractère qu’on a identifié comme appartenant généralement aux HPI est l’ouverture à l’expérience. Ils vont être plus curieux, plus attirés par toutes les nouvelles idées, plus intéressés par l’imaginaire.
Plus envie d’expérimenter des choses aussi, ils sont plus dans l’action ?
Tout à fait, ça peut être dans les idées comme dans l’action.
Un intérêt pour la nouveauté et pour les raisonnements, les mathématiques, ils ont une compréhension rapide de tout ça.
Voilà. Ils ont une compréhension plus rapide. Ils ne sont pas forcément tous intéressés par les mathématiques, il faut vraiment distinguer les capacités de l’intérêt, mais effectivement le test de QI évalue différentes choses, notamment le raisonnement mathématique.
Est-ce que le fait de jouer aux échecs très tôt peut être un indice de la précocité d’un enfant ?
Ça peut être un indice, mais là encore ce n’est pas suffisant, ce n’est pas parce qu’il va jouer aux échecs qu’il est forcément HPI. Ces enfants sont généralement intéressés par les activités qui les stimulent intellectuellement, et auront donc en effet plus tendance à aller vers des clubs d’échecs, d’astronomie, toutes ces activités périscolaires très tôt.
On ne peut pas transformer n’importe qui en surdoué, est-ce dans les gènes, dans la nature de ces personnes ?
Il y a effectivement une forte influence génétique, on le sait notamment grâce à des études avec des enfants adoptés. On s’aperçoit ainsi que les enfants adoptés vont avoir un QI plus proche de celui de leurs parents biologiques que de celui de leurs parents adoptifs. Il y a donc une influence génétique, mais on estime que ça joue à peu près sur 50% de l’intelligence. La moitié de l’intelligence va donc aussi être déterminée par l’éducation, par la richesse des activités intellectuelles proposées par les parents et l’école, par les rencontres, et ainsi de suite. C’est moitié gènes, moitié environnement, donc tout le monde ne deviendra évidemment pas HPI, mais on peut quand même avoir une influence sur l’intelligence des enfants en leur proposant des activités enrichissantes.
Comme Morgane Alvaro, combien y a-t-il de hauts potentiels en France ?
Le haut potentiel, c’est-à-dire avec un QI supérieur à 130, concerne environ 2,3% des gens. Ca fait quand même pas mal de monde, 1700000 personnes en moyenne. On estime qu’il y en a à peu près un par classe. Morgane Alvaro, elle, est à très haut potentiel, ce qui représente 0.13% des gens à peu près.
Comment ce QI est-il évalué ?
Il est évalué avec des tests d’intelligence. Il y en a différentes sortes, le plus courant s’appelle l’échelle de Wechsler. Il y a des déclinaisons pour enfants et pour adultes. En pratique, on va tester tous les grands domaines de l’intelligence : le langage, les capacités de visualisation dans l’espace, la mémoire de travail…
Toutes les parties du cerveau qui peuvent fonctionner, en somme.
Alors… souvent chaque capacité fait appel à plusieurs zones du cerveau différentes, mais en tout cas on va tester plusieurs aspects de l’intelligence et synthétiser le tout en un score de QI.
Dans votre article et dans votre dossier spécial sur les surdoués, vous dites qu’être HPI n’est pas seulement un QI, mais aussi d’autres facteurs que l’on appelle les « indices partiels ». Qu’est-ce que ça veut dire ?
Plus précisément, être HPI c’est quand même un QI, supérieur à 130 par définition. On peut synthétiser l’intelligence par un score unique car on s’aperçoit que les différentes parties de l’intelligence sont souvent corrélées : quand on est bon dans un domaine, on a tendance à être bon dans les autres. Si vous avez un langage très développé, vous serez souvent bon en mathématiques, aurez une bonne mémoire de travail, etc. Maintenant, il arrive que l’on ne soit bon que dans l’un des grands domaines. Dans ce cas-là, le score de QI n’est plus très pertinent à considérer. Il vaut mieux se focaliser sur la force qu’a cet enfant ou cette personne dans ce domaine-là.
Vous rappelez aussi que si l’on fait un test, pour ses enfants ou soi-même, il faut surtout aller voir un psychologue et non faire ça sur Internet parce que ça ne se fait pas n’importe comment, ça prend beaucoup de temps.
Je me rappelle qu’à une époque, on disait « les surdoués », puis « précoces »… Depuis la série, on entend HPI tout le temps, même si ce n’est pas la série qui a inventé ce nom, et j’entends aussi parler des enfants zèbres. Qu’est-ce qu’on dit, quelles sont les différences, comment s’y retrouver ?
En effet, il y a eu beaucoup de dénominations. Celle qui tend à s’imposer est HPI. Pourquoi ? Parce que ça donne l’idée d’un potentiel, là où « surdoué » donne l’impression qu’on serait un génie de naissance, qu’on serait capable d’écrire du Proust sans jamais avoir lu de livre et de peindre du Picasso sans jamais avoir tenu de pinceau. Alors que malgré tout, sans investissement dans quelque chose, il n’y aura pas de réalisations extraordinaires.
Donc un HPI c’est quelqu’un qui a « les possibilités de », mais ça ne veut pas dire qu’il les transforme, ces possibilités.
C’est ça. D’ailleurs il y en a beaucoup qui ne vont pas les transformer, qui ne vont pas faire de choses extraordinaires, donc c’est un potentiel plus qu’un don inné. Pour ce qui est des zèbres, les experts que nous avons interrogés n’aiment pas trop cette dénomination parce que ça donne l’impression qu’ils sont fondamentalement différents alors qu’en fait, toutes les études neurobiologiques et génétiques montren qu’il y a une continuité : un QI de 130, c’est un seuil un peu arbitraire, on ne devient pas fondamentalement différent d’un coup parce qu’on le dépasse, mais à mesure que l’intelligence augmente on va avoir un profil cérébral, génétique, type HPI. Quand à « précoce », ça décrivait les enfants parce qu’ils étaient en avance sur leur âge, mais ce n’était pas très adapté aux adultes.
Dans votre magazine, vous expliquez que ce haut potentiel intellectuel se détecte chez les tout petits de manière assez incroyable.
En effet, dès les premiers mois de la vie, les HPI vont être en avance sur le plan du développement moteur. Par exemple, ils vont se tenir assis plus tôt ; en moyenne un bébé se tient assis vers huit moins, un HPI ce sera vers six mois. Les réflexes archaïques qu’ils ont la naissance vont disparaître plus vite, comme le réflexe de Moro qui, lorsqu’il y a un bruit violent, leur fait lever les bras, tendre les doigts et se regrouper dans une position d’agrippement. Chez les enfants normaux, ça disparaît vers 3 – 4 mois, contre 1 mois chez les HPI. Ils vont aussi parler plus vite, se développer plus rapidement. Néanmoins ça ne permet pas d’identifier un HPI, parce que malgré tout il y a des grandes variations dans le développement neuromoteur des bébés ; ce n’est pas parce que votre bébé s’assoit à six mois qu’il va être HPI, de même que ce n’est pas parce qu’il s’assoit à 9 ou 10 mois qu’il va être moins intelligent que les autres.
Vous qui travaillez beaucoup sur le cerveau, est-ce que les cerveaux des HPI ont plus de volume par exemple ? Quoique ça m’inquiéterait, puisque je crois qu’Albert Einstein en avait un tout petit, et était pourtant sacrément malin.
Ça montre que l’intelligence est un sujet compliqué et que ça dépend de plein de choses. Mais en effet, ils ont un cerveau un peu plus gros, des dizaines d’études l’attestent. De toutes les façons dont on l’a mesuré, on a trouvé le même résultat, c’est-à-dire qu’on a mesuré la quantité de matière grise, de matière blanche, soit l’ensemble des connexions, le périmètre du crâne. Ils ont en moyenne un plus gros cerveau. Cela dit, il y a aussi une étude qui a essayé de quantifier l’importance de cela pour l’intelligence et qui a conclu que ça jouait pour 10% de l’intelligence à peu près. Ce n’est donc pas du tout le seul facteur qui entre en jeu, il y en a plein d’autres et, effectivement, ça fait que des gens comme Albert Einstein n’avaient pas un cerveau particulièrement volumineux. Mais on a découvert d’autres particularités sur le cerveau d’Albert Einstein.
Et donc vous avez compris le fonctionnement de son cerveau ?
En tout cas on a beaucoup étudié son cerveau, parce qu’on se disait « Einstein c’est LE génie, il faut qu’on comprenne ce qu’il se passe dans le cerveau ». Ce qu’on a notamment mis en évidence, c’est qu’il avait un corps calleux plus épais que la moyenne. Le corps calleux, c’est le faisceau de fibres nerveuses qui relie les deux hémisphères du cerveau. C’est quelque chose qu’on a noté chez Einstein, mais qu’on a remarqué aussi chez beaucoup d’HPI ; ils ont tendance à avoir le corps calleux plus épais.
C’est comme une grosse autoroute, en fait ?
Oui, comme une grosse autoroute de communication, et on pense que c’est assez important pour l’intelligence. Le cerveau est assez modulaire, il y a différentes parties qui font différentes choses, différentes tâches, et donc il est important que ces parties communiquent entre elles. On a montré cela avec le corps calleux, mais aussi que les HPI ont de meilleures connexions entre certaines zones à l’avant du cerveau et d’autres à l’arrière, et ce serait une des sources de cette intelligence hors normes.
Pour votre dossier, vous avez rencontré Jacques Grégoire, docteur en psychologie et spécialiste de la question des hauts potentiels intellectuels. Il parle de ce grand silence autour des enfants précoces à partir de mai 1968. On les a ignorés pendant des décennies, pourquoi ?
Parce que ça cadrait mal avec la philosophie égalitaire du moment, on était un peu accusé d’élitisme si on s’intéressait aux HPI.
Alors que les HPI peuvent aussi être des enfants en souffrance parce qu’ils ne comprennent pas les petits ni les grands, ils sont sans cesse entre deux eaux.
Ça peut être des enfants en souffrance, ce sont des enfants qui viennent de tous les milieux sociaux, donc ce n’est pas du tout un élitisme de leur accorder un traitement un peu différent et de chercher à les stimuler intellectuellement. Mais effectivement, pendant longtemps il n’y a pas eu d’études en France sur ce sujet.
Et aujourd’hui, est-ce que les enseignants en France sont capables de s’occuper d’un HPI, de savoir comment nourrir son cerveau, apaiser ses craintes ?
Ça dépend encore un peu trop de l’enseignant. Parfois ils vont arriver à les repérer et à les aider. Albert Camus a par exemple écrit une grande lettre à son instituteur avant de recevoir son prix Nobel parce que ça avait été celui qui l’avait, en quelque sorte, aidé à s’élever, mais d’autres ne vont pas savoir quoi faire. Ce que Jacques Grégoire dénonce, c’est qu’il n’y a pas assez de formations sur ce sujet pour les professeurs. Il y a des instituteurs qui vont avoir fini leurs études sans jamais avoir entendu parler de ce que sont les HPI et comment les aider.
Il y a des écoles pour les HPI en France ?
Il y a effectivement des écoles, mais ce n’est pas forcément ce que les experts préconisent à grande échelle, parce que ça conduit parfois à baisser le niveau des classes dont les HPI partent. Il y a d’autres mesures d’enrichissement, activités périscolaires ou encore saut de classe qui sont plus efficaces.
Un sujet de société majeur ?
L’étude du haut potentiel est décriée aujourd’hui comme un effet de mode. Guillaume Jacquemont, par sa franchise, nous donne l’occasion de répondre à la question que je posais en fin de l’article sur le business autour du haut potentiel : Pourquoi le haut potentiel est-il mis en avant aujourd’hui et pourquoi semble t-il parfois problématique ?
Plutôt qu’un effet de mode, c’est un retour sur le tapis d’un sujet passé sous silence. ll est regrettable que cela s’affirme par la négative, c’est à dire par le constat que les besoins des enfants à haut potentiel ont été trop longtemps négligés. Ceci expliquerait l’impression d’un surnombre d’enfants à haut potentiel : leur pourcentage reste le même mais leur accompagnement est devenu plus problématique et par voie de conséquence ils deviennent plus visibles !