J’ai lu récemment le livre « 24 heures dans le cerveau de votre enfant » dans lequel Erwan Deveze décrit, à travers la journée d’une famille, les interactions vécues par les uns et les autres décryptées sous l’angle des neurosciences, avec leurs implications au niveau du cerveau de l’enfant.
J’ai beaucoup aimé cette lecture car elle pose comme principe de base la recherche de l’équilibre familial et personnel de chaque membre de la famille, en analysant sa réussite sous le filtre des besoins essentiels du cerveau.
Ce livre constitue ainsi un guide « éducatif » pour toutes les familles, y compris celles comportant des enfants à haut potentiel qui y sont mentionnés sans négliger leur place d’enfant ni minimiser leurs besoins intellectuels et affectifs.
Une dérive grandissante de la sur-médiatisation du haut potentiel vient à présenter l’enfant à haut potentiel non pas sur les bases justement de ce « potentiel » qui est la résultante d’un fonctionnement cérébral particulier, d’où découlent des facultés et des besoins à prendre en compte, mais hélas souvent en appuyant sur des critères qui ne sont que les conséquences d’un potentiel non déployé. On parlera facilement d’enfant pénible, hyper actif en apparence, en colère, ingérable, provocateur etc etc… mais rarement de l’enfant qui apprend vite, s’exprime très bien, est vif, curieux… On mettra l’accent sur des comportements émotionnels négatifs, pas forcément en lien avec le haut potentiel, au détriment des capacités d’empathie, de la sensibilité fine, du bon sens et toutes ces qualités souvent bien présentes mais ignorées.
A l’inverse, d’autres idées reçues voudraient encore que l’enfant, dès lors qu’il est identifié à haut potentiel, soit en tous points parfait et très vite autonome, sans considération de sa croissance et de ses besoins physiologiques.
A travers son livre, Erwan Deveze réussit à nous présenter ce qui se joue réellement dans le cerveau des enfants, comment il évolue, comment il apprend, avec quels besoins, comment il se fortifie ou s’atrophie.
Cette évolution cérébrale répond globalement aux mêmes exigences pour tous les enfants, mais dans certains cas, le haut potentiel par exemple, il faut garder à l’esprit qu’il y a une forte probabilité pour que les conditions nécessaires à son bon développement soient insuffisantes ou aient besoin d’être adaptées au fonctionnement propre de leur cerveau.
Cela me donne ainsi l’occasion de relever quelques points significatifs à intégrer dans le développement de tous les enfants, et à considérer avec encore plus d’attention en présence d’un enfant à haut potentiel, pour comprendre qu’il est à la fois un enfant avec des besoins physiologiques, affectifs, plus ou moins de son âge, et avec un développement intellectuel en décalage par rapport à celui-ci. Il est difficile de garder l’équilibre entre tous ses types de besoins mais néanmoins nécessaire de tenir compte de toutes les facettes de sa personnalité pour son plein épanouissement.
Les points d’attention les plus classiques
Le sommeil
Il semble être de moindre qualité aujourd’hui du fait des nombreuses sollicitations auxquelles nos vies modernes nous soumettent (rythme effréné, stress, écrans omniprésents), qui entravent le respect des rythmes naturels de chacun. Les sources d’excitation tardives (jeu vidéo, lumière bleue) sont citées comme ennemies du sommeil réparateur et leur utilisation est à modérer de façon générale et à adapter avec prudence en fonction de l’âge des enfants (voir notre article à ce sujet).
La régulation émotionnelle
Jusqu’à environ 7 ans, l’enfant ne peut réguler seul ses émotions et a besoin de la compréhension et de la présence de l’adulte pour soulager ses maux.
La colère, la frustration, la tristesse, tout particulièrement chez les tout-petits, s’expliquent par leur incapacité anatomique à réguler leurs émotions. C’est à l’adulte de jouer ce temporisation pour aider son enfant à se développer progressivement, et non l’enfermer dans une impasse émotionnelle négative.
Les vidéos de Catherine Guégen à ce sujet sont très instructives, nous en avions déjà publé l’une ou l’autre.
Pour l’enfant à haut potentiel, sa faculté de percevoir plus finement les émotions de son entourage ou les « tensions » du monde qui l’entoure sont des facteurs de déstabilisation à prendre en compte et surtout ne pas sous-estimer.
L’alimentation
Elle doit être saine et équilibrée bien sûr pour assurer une bonne croissance ! Mais le repas est aussi un moment de partage au cours duquel les tensions, s’il y en a, risquent de se concentrer.
La table ne doit pas devenir un ligne de front entre les adultes et les enfants, et encore moins un terrain d’affrontements synonymes de psychodrames où chacun ressortira excédé et perdant…
Le repas peut être un moment parfois pénible avec certains petits phénomènes très sensibles aux odeurs ou aux textures. On peut tenter de transformer l’épreuve en plaisir en s’alliant ces capacités olfactives et gustatives des enfants pour les associer à la confection de repas bons et bénéfiques pour le cerveau. Outre le corps, cela alimentera les circuits de la créativité et de la récompense pour le travail accompli !
Un point d’attention crucial pour les petits précoces : les apprentissages
La nécessité de se trouver en situation d’apprentissage est renforcée par les découvertes des neurosciences sur le fonctionnement du cerveau. C’est tout particulièrement vrai pour les enfants à haut potentiel.
J’ai la sensation que la difficulté réelle, pour les enfants surdoués dans les différents phases de leur scolarité, est d’appréhender ce qu’englobe la notion d’apprentissage, avec sans doutes quelques confusions entre le fait de se trouver dans un cadre où ils sont censés apprendre et la réalité des sollicitations en termes d’apprentissages.
Outre l’intérêt de satisfaire certains besoins des enfants à haut potentiel (plaisir d’apprendre, découverte…), le but premier à atteindre est de maintenir son cerveau dans une routine d’apprentissage, au même titre que les autres enfants, de le confronter à l’effort et à la notion d’échec, et bien sûr d’enclencher les circuits de la récompense et la libération par le cerveau de dopamine liée à la production d’expériences positives.
Ces citations sont assez explicites sur le sujet en général et plus appropriées encore au haut potentiel :
…la répétition à outrance entrave la création de nouvelles connexions synaptiques, ce qui est néfaste pour le cerveau qui, pour se développer, doit constamment se nourrir de la nouveauté et des apprentissages.
Erwan Deveze, 24 h dans le cerveau de votre enfant
Notre cerveau a une relation à l’apprentissage assez particulière et somme toute assez paradoxale. D’un côté il n’aime rien tant que se réfugier derrière la connaissance acquise, de sorte de pouvoir passer en mode automatique pour économiser ses ressources en énergie. De l’autre il ne peut se développer qu’à la condition d’apprendre en permanence de nouvelles choses, ce qui stimule sa plasticité et contribue à créer de nouveaux réseaux neuronaux et connexions synaptiques.
Erwan Deveze, 24 h dans le cerveau de votre enfant
Pour toutes ces raisons il est dangereux pour l’avenir scolaire des enfants à haut potentiel d’être maintenus dans une illusion d’apprentissage. Le manque d’exercice pratique et de stimulation peut engendrer une perte de confiance en soi, des craintes et de l’incompréhension face à la difficulté qui surgit brutalement, souvent au collège ou au lycée.
L’auteur du livre évoque aussi les modèles d’apprentissage qui offrent des conditions favorables au bon développement du cerveau. A ce titre, le modèle finlandais, auquel nous nous étions aussi déjà intéressés, est cité. Le jeu y figure comme moyen d’apprentissage, répondant au besoin d’expérimentation et d’apprentissage par l’action.
Erwan Deveze précise aussi la limite du mode « multitâche », qui mal interprété pourrait s’avérer néfaste dans la compréhension du haut potentiel. En effet on parle beaucoup de pensée en arborescence pour signifier l’enchaînement ininterrompu des idées qui se succèdent dans la tête des enfants à haut potentiel. Or ce concept est à distinguer du besoin évoqué d’exécuter plusieurs tâches en même temps. La simultanéité des tâches, sur le plan neuronal, est impossible. Au mieux elles se succèdent , mais il est illusoire de vouloir se concentrer sur deux choses en même temps, au risque de s’égarer et de perdre en « productivité ».
Seule exception notable à cette règle de base de la focalisation de l’attention, lorsque l’une des 2 activités est suffisamment automatisée par le cerveau et ne nécessite pas d’effort cognitif particulier, par exemple travailler avec un fond musical entendu 1000 fois.
Je ne sais pas si j’ai atteint mon but en vous donnant envie de lire cet ouvrage mais je souhaitais faire un focus sur le cerveau, qui me semble être le point de départ, en matière de haut potentiel, de la compréhension du phénomène.
Bien sûr, l’enfant est un tout et vit avec les décalages cités en introduction, ce qui fait sa particularité. Mais la tendance, en cas de difficulté, est, me semble-t-il, trop souvent de vouloir traiter les symptômes en négligeant les causes. J’avais envie de remettre un peu les choses en place. L’équilibre ne fait pas fi du fonctionnement cérébral particulier de l’enfant à haut potentiel, ni de ses besoins physiologiques et affectifs d’enfant non plus.
24 heures dans le cerveau de votre enfant est un bon guide pour tous les parents, a fortiori pour les parents d’enfants surdoués afin de ne pas oublier l’enfant derrière le haut potentiel et vice versa !
Pour aller plus loin, je vous remets un lien vers deux conférences intéressantes que j’ai analysées dans cet article dont l’idée rejoint celle de dualité de l’évolution de l’enfant à haut potentiel.