L’émission « Bienfait pour vous » présentée par Mélanie Gomez et Julia Vignali sur Europe 1 traitait du haut potentiel intellectuel. Pour en parler était invitée Hélène Vecchiali, psychanalyste, auteur du livre « Un zèbre sur le divan ». L’émission n’est malheureusement pas intégralement rediffusée, mais les dix minutes proposées n’en sont pas moins intéressantes. Vous pourrez aussi en trouver la transcription, réalisée par nos soins, juste en dessous.
Est-ce qu’on peut dire que tous les surdoués passent par ce mal-être à un moment de leur vie ? Vous dites que la plupart vont bien, mais est-ce que cette hypersensibilité, cette hyper intensité font qu’ils passent par des moments difficiles ? Nous qui n’avons pas été diagnostiqués, comme beaucoup d’auditeurs qui nous écoutent, pouvons nous dire : « Mais de quoi se plaignent-ils, ils sont déjà super intelligents, tout doit leur réussir ! »
Alors non, je crois que les hauts potentiels intellectuels sont, comme tous les êtres humains, sujets à des moments où ils vont bien ou moins bien. Je ne crois pas qu’on puisse faire de généralité, je crois simplement qu’il faut se connaître, qu’on soit à haut potentiel intellectuel ou neuro-typique, puisque c’est le terme employé. […]
Ce mal-être apparaît donc chez certains surdoués, ça se passe quand le plus souvent ? Est-ce que c’est dans l’enfance, est-ce que vous les voyez plus tard ?
C’est à tout âge. Je ne vais pas faire de scoop en disant cela, mais la base c’est d’abord l’éducation. […] À la fin de mon livre, j’interview Cédric Villani parce que, comme j’écrivais un livre sur les hauts potentiels malheureux, j’ai voulu terminer avec un haut potentiel heureux. Il a vécu une enfance normale, avec des parents qui lui ont fait faire du sport, du tennis, du ping-pong, et il me disait qu’il se sentait effectivement mal quand il était à l’école, mais que tous les enfants étaient vraiment gentils avec lui. À la récréation on lui lisait des livres… Quand il est entré en prépa, il m’a dit « Là, vraiment je me suis senti bien parce que j’étais dans une communauté où tous ceux qui étaient autour de moi étaient passionnés par la réflexion, les problèmes à résoudre… » Il s’est dit : « Tiens, je ne suis pas tout seul, je peux être avec des autres. » Je crois que c’est vraiment cette idée d’avoir des parents qui vont accompagner les enfants quelles que soient leurs différences et, lorsque quelque chose ne va pas, qui vont essayer de se questionner et d’en comprendre l’origine.
Alors qu’est-ce qui pourrait bloquer un haut potentiel ? Quel serait le problème le plus fréquemment rencontré, leur perfectionnisme peut-être ? Vous parliez de décalage avec les autres, qu’est-ce qui peut parfois les isoler et leur faire ressentir une hyper solitude ?
Ce qui peut arriver, c’est, par exemple, le syndrome de Cassandre. Cassandre était la fille du roi de Troie, Priam. Apollon est tombé amoureux d’elle et lui a donné le don de prédire l’avenir. Mais comme elle s’est refusée à lui, il l’a sanctionnée en lui disant « Tu prédiras l’avenir, mais personne ne te croira ». Les hauts potentiel intellectuel ont une immense capacité à avoir de l’intuition et à anticiper les choses. Par exemple, en entreprise, ils sont très sensibles aux signaux faibles ; ils vont alerter, mais pas être entendus. C’est une chose qui peut être difficile pour eux. Ils peuvent être comme les canaris dans la mine [qui permettaient aux mineurs d’être avertis de la trop forte présence de monoxyde de carbone].
Ca veut dire que, si on est à haut potentiel, on est un petit canari dans la mine, on voit tout ce qui va se passer ? Est-ce que ça ne rend pas très angoissé et pessimiste si on voit toute les catastrophe arriver ?
Non, il ne sont pas pessimistes parce qu’ils se disent « Chic, je vois ça, on va pouvoir anticiper et s’en servir ! ». Et puis, dans les entreprises, si l’on est quelqu’un de disruptif, qui cherche à faire autrement, à sortir du consensus, on peut être perçu comme un fauteur de troubles, pour parler poliment, comme quelqu’un qui va enquiquiner tout le monde, ce qui peut créer ce décalage.
Il y a beaucoup de parents aujourd’hui qui fantasment d’avoir un enfant surdoué, qu’ils le fassent tester ou pas, mais est-ce que ça vaut le coup d’amener tous les enfants chez qui on suspecte cela faire un dépistage, un repérage ? Si on ne sait qu’on l’est, on a plus des risques d’être mal, j’imagine.
Oui, mais c’est toujours pareil : je crois que enfant, adolescent ou adulte, si les gens vont bien, on ne va pas aller creuser quoi que ce soit. En revanche, si l’ont sent qu’il y a un mal-être, un malaise, quelque chose qui coince, là, effectivement, essayons de vérifier ce qu’il se passe et faisons passer des tests pour y remédier. Sinon, il faut laisser les gens vivre tranquillement tant qu’ils sont heureux.
Un mal-être, c’est quoi par exemple ? Je pense aux parents qui nous écoutent, pas d’amis à l’école, ennui… Quels sont les critères saillants ?
Pour les enfants, ça peut être ce qu’on appelle la dyssynchronie. La dyssynchornie s’applique aux enfants qui ont une intelligence supérieure, mais une maturité affective qui n’atteint pas le même niveau. Il va donc y avoir ce décalage qui va faire que les enfants vont être mal perçus par l’entourage, et eux-mêmes ne vont pas se sentir à l’aise avec tout le monde. Ce sont souvent des enfants, par exemple lorsqu’ils sont petits, qui sont plus à l’aise avec des adultes qu’avec des enfants de leur âge.
Et du coup, est-ce que ça vaut la peine pour ces enfants à très haut potentiel intellectuel, comme ça se faisait à une époque, de leur faire sauter une, deux voire trois classes pour se retrouver avec des enfants qui auront trois ou quatre ans de plus qu’eux, s’ils n’ont pas la maturité au même niveau ? Est-ce que c’est une bonne idée ?
Dans ce cas, je pense que ça se discute avec les enfants, parce qu’ils sont assez mûrs. J’ai des amis qui avaient un enfant et voulaient à tout prix lui faire passer trois, quatre, cinq classes. On était parti dans quelque chose d’un peu difficile, et c’est l’enfant qui a dit lui-même : « Moi je ne veux pas du tout, si je vais dans une autre classe et que je quitte mes copains, je serai malheureux ! » Et finalement la décision a été prise de ne pas lui faire sauter de classe. Il faut vraiment questionner l’enfant, et quand il ne sait pas, c’est aux parents de vérifier, et surtout de vérifier si eux-mêmes sont à l’aise et sont au clair avec leur propre ego. Si les parents veulent absolument que leur enfant saute plusieurs classes pour pouvoir dire à leurs amis «Ah, moi, mon enfant a deux ans d’avance !», Le gamin va sentir une telle pression que ça va mal se passer. En revanche, si c’est fait avec beaucoup de bienveillance, de respect et d’écoute de l’enfant, les choses vont se passer correctement.
Si on repère que notre enfant est à haut potentiel, est-ce qu’il faut lui dire, lui expliquer ?
Je pense que c’est toujours mieux de dire les choses, mais il faut lui expliquer que oui, intellectuellement il est plus rapide que les autres, mais que son copain peut être meilleur que lui, et qu’un autre est surdoué en foot, pour qu’il comprenne qu’il n’est pas supérieur, qu’il a juste une différence positive, comme d’autres ont des différences positives.
L’enfance est très importante pour ces enfants surdoués qui deviendront des adultes surdoués, ça ne passe pas en grandissant. Dans votre livre, vous évoquez deux cas de personnes surdouées adultes qui ont eu, toutes les deux, une enfance difficile, et vous dites que le fait qu’ils aient été à haut potentiel les a sauvés quand même, les a protégés en quelque sorte. Qu’est-ce que vous voulez dire par là ?
C’est ce que je disais tout à l’heure. Ils ont en eux ce tuteurage, cette bulle, d’ailleurs c’est ce qui sauvé Camus et Pascal, par exemple : Camus, qui a été orphelin de père très jeune et avait une mère illettrée et sourde, était vraiment dans un climat très douloureux et heureusement, on sait l’avenir qu’il a eu et qui lui a permis de dépasser ça. Quant à Pascal, il était orphelin de mère à trois ans et dit lui-même qu’il s’est mis dans une bulle ; et on voit qu’à onze ans il a réussi à démontrer un théorème d’Euclide… donc ces hauts potentiels intellectuels ont cette haute potentialité de résilience en eux, et ça leur permet de supporter tout ça. Maintenant, quand les tourments sont trop grands, ce tuteurage interne et personnel a besoin aussi d’un tuteurage extérieur.
Comme dans toutes les émissions de ce type, il y a bien sûr des éléments à débattre, notamment parce qu’il est difficile d’entrer dans le détail de chaque thème avec ce format de reportage. On ne se privera donc pas de discuter de certains points abordés, parfois, de façon superficielle et d’échanger son vécu avec d’autres personnes.
Bonjour,
Ma fille est suivie par une psy, haut potentiel diagnostiqué cet été, comme moi, l’annonce du diagnostic a été un soulagement pour elle, elle en a pleuré.
Seulement voilà, elle a 14 ans bientôt, et toujours ces difficultés à s’intégrer auprès des autres enfants, dont elle ne comprend pas toujours les actes (suivre des influenceurs, faire des photos compromettantes et les publier, etc.).
Elle commence à pleurer avant d’aller au collège et me parle de crises d’angoisse pendant les cours.
Depuis des années, elle s’ennuie ferme en cours, mais ne veut pas sauter de classe, ce à quoi je souscris pleinement, car elle ne se sent pas à l’aise non plus avec les élèves plus âgés, et au moins, comme elle le dit, elle connaît ceux qui sont dans sa classe, et dans son niveau. Elle qui a toujours peiné à se faire des relations, elle a 2-3 amies avec qui ça se passe bien, la plupart du temps…
Cependant, son dégoût de l’école est de plus en plus fort, et je me demande comment faire afin de l’aider à dépasser cela et à avancer.
En plus du suivi psy, puis-je mettre des choses en place?
Avez-vous des idées?
Merci d’avance de l’attention que vous porterez à ma question, et merci pour vos publications qui me permettent de mieux nous connaître et comprendre.
Bien cordialement
Bonjour Madame,
Je comprends fort bien le malaise de votre fille.
Si vraiment le saut de classe n’est pas une option envisageable pour vous, je vous suggère de réfléchir à soit :
– trouver un établissement spécifique qui prenne en charge le haut potentiel
– évoquer son haut potentiel dans son collège afin que des aménagements pédagogiques soient mis en place pour elle, selon les textes en vigueur : https://www.enfantsprecoces.info/enfants-a-haut-potentiel-ca-bouge-du-cote-de-education-nationale/
Dans tous les cas vous pouvez contacter le référent « ehp » de votre académie afin qu’il vous vienne en aide pour la scolarité.
Après cela ne changera rien aux relations sociales de votre fille qui du fait de sa façon d’être peuvent être compliquées. Je vous suggérerais quand même de réfléchir à la possibilité du saut de classe qui la mettrait en contact avec des enfants plus âgés donc peut être un peu plus matures, avec la possibilité de faire d’autres rencontres. Si elle est en quatrième, envisager un saut vers la seconde pourrait être l’occasion de franchir le pas en admettant qu’elle risque de toutes façons de perdre ses amies du moment et cela permettrait de remettre les choses à zéro (nouvel établissement, nouvelles relations). La relation sociale est souvent difficile jusqu’à un certain âge, et pour certains enfants l’accélération permet de gagner un temps précieux. Je vous mets un lien vers un reportage qui pourrait vous aider, vous et votre fille, à bien cerner le problème qui se pose à elle et à y réfléchir : https://www.enfantsprecoces.info/le-parcours-exemplaire-de-deux-jeunes-filles-surdouees/